7 février 2012

Honni soit qui noir y pense

Pause-déjeuner, et donc virée traditionnelle sur Rue89 avec le café. Il y a des traditions auxquelles on ne saurait déroger. 5,4,3,2,1, et paf, pastèque, la récolte est fructueuse, puisqu'on y trouve aujourd'hui la délirante tribune d'un Français d'origine africaine (il emploie le terme d'"Afro-descendant", je trouve ça ignoble, même si les deux se ressemblent fort). Du moins je pense qu'il est français, peut-être n'est-il "que" parfaitement francophone. Apparemment, sa vie n'est qu'une souffrance atroce dès qu'il ouvre la bouche ou entend quelqu'un d'autre parler. Figurez-vous que la langue française l'enferme et l'opprime, le rabaisse, le bafoue, le brise, le rage, le désespoir, le vieillesse ennemie. Et je n'exagère pas, lisez le machin. Tant sa forme (navrante) que son fond (grotesque) désolent.

Sur la forme, d'abord. Je suis peut-être singulièrement obtus, mais il m'a fallu arriver au 6e paragraphe pour commencer à saisir, maigrement, le propos de l'auteur. Durant les 5 précédant, je pensais me trouver dans une bafouille confuse (et le mot est faible) d'un philologue ou d'un sociologue et qui concernait les aspects sociaux, et même moraux, d'une langue. Bref, "précision-concision", ne sont pas tellement les axiomes du bonhomme. A la rigueur, peut-être, "la clarté dans la confusion (salut Brel, Ventura et consorts), et encore. D'autant que l'auteur ne pose pas d'entrée de jeu qu'il a la peau noire, ce qui n'aide pas à la compréhension du machin.

Ensuite, le style. Je n'ai aucune prétention quant au mien, et je ne suis pas franchement un sommet du bon goût en matière de littérature. M'enfin tout de même. Il y a des tournures et des métaphores qu'il faut oser. Je vous en cite un paragraphe complet tellement c'est beau :

"Alors que dire d'une langue qui ne sait vous désigner du doigt que pour vous annihiler ; d'une langue dont chaque respiration vous emplit pour mieux vous étouffer ; d'une langue dont les étreintes vous épinent comme des coups de pied au derrière, dont les baisers au goût de cendre sont toujours de glace, et qui s'acharne à vous téter l'entrecuisse avec la vivacité et l'énergie d'un rasoir, faisant gicler vos boyaux d'humeur ?"

Clap-clap. La vivacité d'un rasoir, hein ? J'en connais un qui doit s'entailler vilain tous les matins. Et je passe sur la langue étreignante qui épine comme on botte le cul. Défense de rigoler : Ici, on souffre. Ailleurs, c'est un style haché, des virgules comme s'il en pleuvait, des interrogations qui se suivent, non, qui se paraphrasent par dizaine. C'est lourd, ça veut faire beau et bien, et c'est d'une rare opacité.

Enfin, le fond. Pour résumer, la connotation négative du mot et de la couleur "noir" en français désolent M. Marcel Zang, tout comme les expressions contenant le mot "nègre" (encore qu'il doit accepter sans trop se faire prier le vocable "négritude". Enfin j'espère). Je vais sans doute en oublier, mais passons en revue quelques-uns  de ces mots et expressions. :

- le mot "nègre" d'abord, signifiant bien entendu "noir" à l'origine. La couleur noire. L'usage s'en est ensuite élargi pour désigner les gens par leur couleur de peau. On comme dit un "un noir" comme "un blanc", "un peau-rouge" (bon, celui-ci a un peu vieilli, ok, mais le sens est le même.,... . L'esclavage et la période coloniale ont transformé en insulte raciste un adjectif anodin. Dommage.

- un nègre, au sens littéraire du terme. L'écrivain qui travaille pour un "auteur" qui s'attribuera le mérite de son travail en le faisant publier sous son nom. C'est, déjà (voir ci-dessous), la caractérisation de celui qui travaille beaucoup et à la place des autres. Intelligemment compris, c'en serait quasi laudatif pour les noirs, en indiquant ainsi en un mot qui est celui qui travaille réellement et qui est celui qui est exploité. Pas de surprise : ce sont les mêmes. Mais, encore une fois, l'actuel sens raciste du mot... 

- travailler comme un nègre : allusion à l'esclavage et aux travaux pénibles et/ou dégradants effectués par les esclaves. Au vu de l'allusion historique, et à la somme de travail  à laquelle cette expression renvoie, personnellement, moi le glandeur, je m'enorgueillirais plutôt de réussir à "bosser comme un nègre". Je conçois quand même que les noirs tiquent sur le dernier mot...

- Dénigrer : Pour le coup, une vraie idée négative associé au noir. Mais si on remonte un peu dans le temps, "senestre" a donné "sinistre", a-t-on déjà lu un manifeste des gauchers pour l'abolition du terme ? Si M. Zang veut forger ses propres termes péjoratifs à l'égard des blancs, en quelque langue que ce soit, qu'il le fasse.

J'ai sans doute oublié quelques termes employant ou comportant ce terme de "nègre" Toutes mes excuses.

Second argument des doléances de M. Zang : en français, le mot "noir" comme la couleur sont systématiquement négatifs. De fait, en français la nuit est noire, on broie du noir, on a des idées noires, on nourrit de noirs desseins, il fait noir dehors, les chevaliers noirs sont toujours méchants, le Prince noir était anglais (et l'anglais est perfide, c'est bien connu)... . Et, apparemment, c'est insupportable. Question à M. Zang : Comment faire pour remplacer toutes ces expressions, comment faire pour annihiler l'idée que le noir, hors couleur de peau, est négatif ? On reporte sur une autre couleur ? Mais la nuit jaune ou pourpre, cela convient moyennement... Par ailleurs, toutes les civilisations ont une couleur associée à des idées négatives. En Asie, le blanc symbolise la mort et porte malheur. Eh bien en Occident, c'est le noir. Il me semble que cela n'incite ni au racisme ni à la ratonnade, mais peut-être fais-je erreur.

Globalement, un mot ne façonne pas l'idée, il l'exprime seulement. On peut être raciste sans jamais prononcer les mots nègres ou youpins. Je comprends que l'auteur de la tribune soit peiné d'associer sa couleur de peau aux images négatives lorsqu'il utilise sa langue (française), mais, avec un peu de vocabulaire, ce doit pouvoir être évité. Tenté par quelques Exercices de style, M. Zang ?  

5 février 2012

Mouais, beauf

Bon, sujet du jour, la semi-polémique à propos de la censure des affiches du film "Les infidèles", bazardées vite fait des rues parisiennes. J'avais autre chose à foutre ce week-end que zoner sur les blogs féministes, mais je ne doute pas que ça ai déjà bouilloné de partout dans ce marigot. Et si c'est pas fait, ça va se faire. Rapidement.

Pour le coup, ce ne sera pas totalement injustifié. Pour les ceusses qui ont raté ces chefs-d'oeuvre, voilà ce que ça donne. Ou donnait, plutôt :


C'est con à dire, mais ça me fait puissamment chier de reproduire ces affiches sur mon blog. Je ne suis ni un parangon du bon goût, ni un féministe délicats. Qui plus est, je suis en général assez partisan de la liberté d'expression, tant qu'elle fonctionne pour tout le monde.  C'est-à-dire que je reconnais parfaitement le droit aux hommes de faire des pubs/films/livres/... machos et/ou misogynes tant que les femmes peuvent elle aussi déconner gentiment dans la mysandrie lourde ou légère, visuelle ou écrite. Que demain fleurissent dans les rues des affiches montrant des femmes tenant en laisse des homoncules courbés ou les enculant joyeusement à coups de gode-ceinture, je m'en battrai joyeusement les choses de la vie, ne me sentant ni visé, ni dégradé, ni instrumentalisé, et pas plus objet sexuel qu'avant. Ce n'est pas moi sur l'affiche, juste une personne avec qui j'ai un point commun : une bite. Enfin, deux à nous deux, quoi. On a vu lien plus fort.

A vrai dire, je suis même plutôt content que ces torchons soient retirés de l'espace public. Pas au nom du respect de la dignité des femmes. Encore une fois, seules deux femmes sont rabaissées sur ces placards, celles qui figurent dessus. Je m'obstine à penser qu'aucune autre femme n'a à se sentir dégradé. Quand Hollande se fait enfariner, je ne porte pas mes fringues au pressing, quand Sarkozy décore son tailleur, ce n'est pas moi qui obtient la légion d'honneur, et ce n'est pas à moi qu'il a dit "cass'toi pov'con". On aurait rigolé, d'ailleurs. Bref. L'une des plus belles fumisteries des différents lobbys, activistes, militants de  sac et de corde, minorités et autres agités, c'est de hurler qu'on insulte le tout quand on accable une partie. Ça aide, ça donne du poids à toutes les revendications. Clap-clap. Non, si je me félicite que ces deux étrons putassiers décampent de nos murs, c'est mon côté vieille école qui parle, et qui veut qu'un minimum de décence (vieux mot de plus en plus oublié) ne nuise pas dans les espaces publics. Un vieux fond pétainiste, je présume.

Outre ce détail, la vraie raison qui me fait applaudir à cette censure, et qui explique que les torchons gras ci-hauts reproduits me les hachent, c'est simplement celle-ci : 'Y a des limites à la beauferie. Ce qu'il y avait de véritablement offensant, dans ces crapuleries, c'est cette beauferie revendiquée, ce "ta gueule et suce" qui s'assumait, ce fier "à genoux et parle pas la bouche pleine !", ce faraud "un trou avec du poil autours" (copyright Bretécher), cette espèce de fierté grasse du rire salaud qui se veut provoquant. Il y a fort à parier que d'ici peu, acteurs, réalisateur et producteurs du film se fendront de déclarations pitoyables comme quoi ces affiches étaient "subversives", qu'il y a "encore trop de tabous en France", qu'ils bravaient le "néo-conformisme" et le "politiquement correct" de l'époque.

Mon cul, oui, martyrs du Café du commerce.

Et, en écrivant cela, j'ai l'impression d'insulter mes troquets blaireauteux préférés.


PS : rapport au machin de la représentativité que j'évoquais plus haut, on retrouve la même idée ici.


Et, sans rapport aucun :