17 mai 2011

Elle a raison la brune (Choses entendues, 1)

Elle raison. Déjà parce qu'elle est belle comme tout, cheveux longs, élancée, l'assurance, le sérieux et le sarcasme toujours au coin de l'œil et de la lèvre. Quand elle est en débardeur, on voit la grosse cicatrice rectangulaire qu'elle a sous la clavicule droite. Ça ne doit pas la complexer, je suis même sûr qu'elle l'arbore avec une sorte de fierté. C'est ce que je ferais à sa place. Je n'ai jamais  osé lui demander d'où elle lui venait. Dans un pays qui sort de dix ans de guerre, on ne pose pas la question à quelqu'un qui vient de vous dire le massacre du village de ses oncles et de leurs trois cent voisins albanais par leurs autres voisins, serbes.

J'aime pas ses fringues à la mode pouffe Balkans, mais même en collant léopard, appelons-là D., elle réussit à avoir de la classe. Une sorte d'allure qui viendrait de sa seule force de caractère, de son sourire. Du fait qu'elle a bouclé sa licence de droit, et est en train d'enlever son master, en bossant 40 ou 50 heures par semaines. Boutiques de fringues, ONG, et maintenant c'est ma collègue. Elle est cool. Je peux pas dire que l'on soit proches, mais elle est cool. Quand elle se fait chambrer par d'autres Français, façon fausse drague, et qu'on lui recommande ne ne pas les écouter, "Ne leur fait pas confiance, D. !", elle répond troisième personne "D. ne fait confiance qu'à D". Elle a raison. Elle a le prénom de la femme du plus grand héros national du Kosovo. Je cherche un équivalent français, je n'en ai encore pas trouvé. 

On discute d'un peu tout, de l'U.E, des Etats-Unis, du Kosovo, de ce qu'il faut voir en Albanie, en Macédoine, aller se baigner au Montenegro dès le mois de mai. De la France aussi un peu, de ses études, des sorties. Je ne sais plus comment on en est venu à parler de ça, mais ça a jailli de sa bouche au détours de la conversation.

"Tu sais pour quoi ils manifestent, les étudiants français ? Ils manifestent pour les retraites ! Vous avez tout en France, vous avez toutes les possibilités. Vous pouvez faire des études, celles que vous voulez, faire ce que vous voulez après comme travail. Si ici [au Kosovo], on avait les mêmes possibilités, on ferait [ici, un geste de la main qui veut dire, et je ne me trompe pas "on pourrait tout, on pourrait conquérir le monde"]. En France, vous êtes des enfants gâtés."

J'essaie de défendre mollement les cons qui ont manifesté, et sur qui j'ai gerbé tant et plus lors des pantalonnades de rue. J'ai au bord des lèvres des phrases cons, type "Ouais, mais on se rend pas compte... tu sais, la culture française de l'Etat-Providence... on attend toujours beaucoup...". Puis tout ça crève sur mes lèvres, avant même d'être sorti, comme le vague geste que j'esquisse. Elle a raison, la brune, dans son pays  beau et pourri par le communisme, la guerre, ses politiques et ses mafieux qui sont les mêmes, cinquante pour cent de chômage et tous les trafics.

Elle a raison, la brune.




Dee-Doo

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